AERHO décrypte #1 : Les raisons objectives d’être contre les captures à but de mort des pigeons
Par Didier Lapostre, président d'AERHO, et Anne-Laure Meynckens, formatrice-consultante sur la question animale
La présence des pigeons suscite régulièrement des tensions avec des affirmations péremptoires, sans preuve scientifiques : porteurs de maladies, captures en relâchant les oiseaux, etc…
Selon l’actualité, nous allons reprendre ces différents thèmes évoqués qui ont pour seul objectif de dévaloriser cet animal.
Notre objectif : fournir un autre éclairage reposant sur des faits et des analyses.
Avec cette rubrique, gageons que chacun pourra, par la connaissance, avoir un autre regard sur ces oiseaux.
Ce premier Billet aura pour thème : les captures de pigeons à but de mort.
Ces derniers mois, suite à l’opposition d’associations et de citoyens, de nombreux articles dans la presse ont évoqué des captures de pigeons montrant tout à la fois l’aspect cruel de ces actions, les nuisances réelles existantes et les tensions entre pro et anti- pigeons. Ces articles donnent alors une image négative des actions entreprises par la Ville ou tout autre décisionnaire. Certains assument leur choix et poursuivent contre vents et marées, déclarant n’avoir pas d’autres solutions. D’autres changent leur fusil d’épaule (si l’on peut dire) et font des déclarations d’intention. Heureusement, certains décident l’arrêt de ces captures et font le choix de solutions éthiques.
Pas facile de l’extérieur de se faire une idée. Un sondage IFOP, commandé par AERHO, montre que plus de 80% des personnes sont opposées aux captures considérées comme cruelles, mais la majorité des sondés ne veut pas subir de nuisances. Alors comment faire ?
Avant de proposer des solutions éthiques, développons ici une analyse objective.
Soyons transparents pour nos lectrices et nos lecteurs : notre association AERHO s’est constituée avec l’objectif de convaincre les décisionnaires d’organiser la gestion des oiseaux en substituant à ces captures à but de mort des mesures respectueuses de l’intégrité des oiseaux.
Cette conviction clairement énoncée ne nous empêche pas de développer une analyse objective et d’éclairer nos lectrices et lecteurs sur les objectifs affichés des captures passées, les process mis en œuvre par les collectivités ou entreprises et leur coût, ainsi que les chiffres. Enfin, nous nous interrogerons sur l’efficacité de ces captures.
1. Objectifs affichés des captures
Les objectifs affichés de ces captures sont selon les commanditaires et entreprises prestataires :
la réduction du nombre de pigeons considérés comme étant en trop grand nombre
la diminution des nuisances
2. Process mis en œuvre
Selon les villes ou entreprises, les captures sont effectuées :
- sur des sites à la demande et décidées par le commanditaire et le prestataire,
- avec un filet lance-canon ou avec des cages de reprise,
- sur une ou plusieurs périodes de l’année
3. Coût financier de ces captures pour la collectivité
Le coût de ces captures varie selon le marché, mais peut aller de quelques milliers d’euros à plusieurs dizaines de milliers d’euros par campagne.
4. Les captures à but de mort en chiffres
Les chiffres sont :
- soit assumés et présentés comme un tableau de chasse, avec pour objectif de montrer que sans ces captures, des milliers de pigeons envahiraient la ville.
- soit difficiles à connaître et entourés d’opacité
Lorsqu’une ville décide l’arrêt des captures et fait appel à AERHO pour mettre en œuvre des solutions respectueuses des pigeons, nous réalisons un bilan des captures réalisées dans le passé.
Pour ce faire :
nous faisons le choix de prendre les statistiques telles qu’elles nous sont fournies par le prestataire de la mairie et d’en tirer des éléments de réflexion.
nous allons sur les anciens sites de captures et identifions ou non la présence de pigeons
nous interrogeons les habitants sur la réduction ou non des nuisances suite aux captures
Ce diagnostic est ainsi objectif et ne peut donc prêter à interprétations.
Si une ville comme Mont de Marsan (qui vient de se faire « épingler » par l’association PAZ pour le gazage de nombreux pigeons) décidait d’arrêter cette pratique, nous ferions le diagnostic suivant :
en nous appuyant sur des chiffres publiés dans la presse. En 2013, 2000 pigeons tués (article de Sud-Ouest du 04 novembre 2013) et depuis 1000 pigeons tués chaque année (interview France Bleue du 25 janvier 2023), soit entre 10 000 et 20 000 pigeons capturés
nous irions ensuite sur les sites de captures pour voir les résultats et voir si les pigeons sont encore présents ainsi que le maintien ou non des nuisances
Notre expertise nous évite ainsi une bataille de chiffres et permet un diagnostic objectif identifiant les nuisances ou leur absence.
5. De l’efficacité ou non des captures ?
►Ces captures permettent-elles une diminution de la présence de ces oiseaux ?
Dans les villes où nous intervenons sur les anciens sites de captures, aucun comptage n’ayant jamais été réalisé, il est fait état « d’estimation à la louche » et de ressentis.
Généralement :
Pour les riverains interrogés, la population de pigeons est « considérée comme stable ». Mais surtout il y a un maintien global des nuisances.
Pour le personnel des villes ou de la structure (jardinier, technicien de surface, policier municipal), en général, la perception peut varier entre un constat d’une moindre présence et un maintien du nombre d’oiseaux. Cet écart s’explique par le fait que dans de nombreux cas, des nourrisseurs ont modifié leurs heures de distributions au moment où les agents ne sont pas là.
►Avec autant de captures, pourquoi la population de pigeons ne diminue pas de façon plus significative ?
Les pigeons ne vivent pas en colonie fermée. En quelques coups d'ailes, ils peuvent passer d'une ville à une autre, changer de groupe selon les rencontres et les opportunités. Pour exemple, les nourrissages sont des moments d'échanges entre différents groupes de pigeons venant de différents endroits. Ainsi, grâce à leur capacité de communication, lorsque la niche écologique se vide à un endroit, du fait de captures, certains individus peuvent venir la remplir du jour au lendemain.
Des études scientifiques internationales (de Murton, 1972 à Sol y Senar, 1995) démontrent l’inutilité de ces captures, et même leurs effets pervers. Si les captures vident ponctuellement les individus d’un endroit, elles n’agissent pas sur les paramètres de la niche écologique.
Le bol alimentaire et l’offre d’habitat demeurent et restent disponibles à d’autres individus de la même espèce ou d’une autre espèce. La niche se remplit rapidement, en quelques jours ou semaines.
En effet, la concurrence pour l’accès au bol alimentaire est constante. Les dominés, les jeunes, les malades ou les plus âgés, forment le cercle extérieur lors de l’appâtage pour la capture. Les dominants se retrouvent au centre pour manger les graines et se font capturer. Dès le lendemain, les dominés ayant échappé au filet, vont avoir accès au bol alimentaire toujours disponible et vont devenir à leur tour des dominants ! Les dominés des sites alentours, soumis à des individus forts de leur groupe, vont aussi trouver leur avantage dans cette nourriture disponible et par voie de conséquence, vont migrer soit pour la nourriture, soit pour l’habitat laissé vacant par les capturés, soit pour les deux. Ils vont alors avoir la possibilité de connaître une ascension dans l’organisation sociale du groupe.
Une expérience de terrain réalisée par AERHO
Pour vérifier cette affirmation et toujours avec notre souci d'élaborer des analyses objectives, sous le contrôle d'une ville en Île-de-France, nous avons réalisé l'expérience suivante :
Jour 1 : nous capturons plus de 200 pigeons sur 4 endroits différents, vidant ainsi la niche écologique des pigeons sur la ville de plus de la moitié. Ces pigeons sont gardés vivants durant 3 jours dans des cages après les avoirs bagués.
Jour 2 , 3 et 4 : nous avons réalisé des comptages sur les sites de captures. Dès le lendemain, la niche écologique était à nouveau quasiment remplie et 2 jours plus tard totalement remplie par des pigeons venus d’ailleurs.
Jour 5 : lors du relachâge des 200 oiseaux préalablement capturés, nous observons un nombre plus important d’oiseaux
Jour 6 : dès le lendemain, nous effectuons des comptages et nous retrouvons le même nombre de pigeons qu'avant la capture (200), dont une minorité de bagués.
Deux enseignements :
après capture, remplissage quasi immédiat de la niche écologique
après relachâge, pas de surpopulation mais rééquilibrage immédiat de la niche écologique.
L’exemple dans un parc public
Dans le cadre de ce parc, nous avons pu vérifier à nouveau cette expérience :
En août, nous comptons entre 150 et 400 pigeons, selon les moments de la journée.
Or au mois d’octobre, environ 90 oiseaux avaient été capturés et tués.
Début novembre, nous réalisions à nouveau des observations dans ce Parc. Nous ne comptons alors que 150 à 200 pigeons.
Mi novembre, nous refaisons un comptage et constatons que la niche écologique s’est totalement reconstituée.
Le groupe s’est reconstitué en quelques jours. Là encore, il apparaît clairement que les captures sont de véritables puits sans fond, les pigeons capturés étant remplacés par des pigeons extérieurs.
Mais quelques fois, il arrive néanmoins qu’après une campagne de captures, comme dans le cœur historique d’une ville du sud-est, le groupe se reconstitue moins vite, en deux mois.
Le nombre de pigeons dépend avant tout de l’importance de la niche écologique : tant que le bol alimentaire quotidien disponible est de la même importance et/ou tant que l’habitat demeure accessible, le regroupement de pigeons se reconstitue.
► Avec autant de captures, y-a-t-il moins de nuisances ?
En moyenne, sur les sites où le nombre de pigeons capturés a été le plus important (entre une centaine et plusieurs milliers sur plusieurs années) :
70% connaissent toujours une présence de pigeons, dont la grande majorité avec des nuisances
30% n’ont plus de présence de pigeons, soit en raison de l’arrêt du nourrissage, soit suite à des modifications urbanistiques, soit par le déplacement des pigeons sur un site à proximité
► Quel bilan dans les villes ayant arrêté les captures ?
Souvent des élus se déclarent prêt à arrêter les captures, mais craignent un développement exponentiel de pigeons et ainsi d’être critiqué pour laxisme.
L’expérience de villes qui ont arrêté les captures à but de mort depuis des années montre qu’elles ne connaissent pas d’augmentation du nombre de pigeons, ni des nuisances :
Paris depuis 1995,
Metz en 2019
Fontenay-sous-Bois,
Montreuil, etc…
Mais il faut aussi reconnaître qu’en soi l’arrêt des captures ne suffit pas, car les nuisances demeurent. Seule la mise en œuvre d’un plan de gestion pour une cohabitation apaisée avec ces oiseaux permet de réduire les nuisances.
Conclusion
Nous avons démontré, outre leur cruauté, l’inefficacité quantitative et qualitative des captures de pigeons en ce qu’elles ne réduisent pas les nuisances.
Au-delà même de l’inefficacité de ces captures ici démontrée et de l’échec concernant la diminution des nuisances, une question éthique est posée : comment se prévaloir de préserver la biodiversité et réaliser des destructions massives et régulières de certains animaux ?
C’est pourquoi nous faisons nôtre, cette réflexion de Vinciane Despret, philosophe :
« On a d’abord considérablement exterminé, ensuite, on a dû apprendre à protéger, maintenant, il s’agit de découvrir comment cohabiter. »
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